Ouyahia, l'élection présidentielle et les salaires des députés
par Ghania Oukazi
in : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5109496&archive_date=2008-09-21
La promesse d'Ahmed Ouyahia de mettre à la disposition de Abdelaziz Bouteflika «la machine électorale» qu'est le RND pour lui assurer son troisième mandat présidentiel, est lourde de sens et de conséquences.
Ahmed Ouyahia fait mieux, plus et pire que son prédécesseur Abdelaziz Belkhadem lorsque celui-ci avait décidé de faire d'un troisième mandat pour le président de la République la seule préoccupation du gouvernement, du FLN et de l'Etat. Le rappel des rôles que chacun des deux s'est attribué s'impose. Quand le second avait décidé de mobiliser toutes les institutions de l'Etat à cet effet, le premier avait fait la grimace et a jugé le second comme allant vite en besogne. Ouyahia avait même suggéré au président de «descendre» au niveau du Parlement pour l'amender, l'article 74 de la Constitution limitant les mandats présidentiels. Il n'arrêtait pas de lancer des pics à Belkhadem lui reprochant de faire une campagne prématurée pour le président de la République. Etant bien loti que Belkhadem dans les sphères du pouvoir et du système politique en place, Ouyahia semble aujourd'hui être au courant de l'avancement des choses au sujet de la prochaine élection présidentielle. Il y met les bouchées doubles. Avec son arrogance habituelle, il réitère son soutien «indéfectible» et celui de son parti à Bouteflika. Et toujours avec la pudeur en moins, Ouyahia promet de mettre à sa disposition «la machine électorale» qu'est son parti, le Rassemblement national démocratique (RND). C'est en 1997, faut-il le rappeler, que le RND a été qualifié de «machine électorale». C'était lorsqu'il avait été utilisé comme tel pour broyer sur son chemin toute velléité de préservation ou de sauvegarde d'un semblant de démocratie, de transparence et de crédibilité pour les élections législatives de l'époque. C'est en toute impunité que la machine électorale RND avait sévi. Ce parti du pouvoir a été à l'origine de ce qui a été consigné dans le rapport de la commission d'enquête parlementaire sous l'intitulé «fraude électorale massive». «Demandez à ceux qui ont institué la commission d'enquête pourquoi n'ont-ils pas insisté pour rendre public ce rapport», nous avait simplement répondu Ouyahia au sujet de cette mascarade électorale. Aujourd'hui, il ne semble pas avoir changé d'attitude. Sûr de lui, le chef du gouvernement promet d'enclencher cette même machine pour assurer à Bouteflika un troisième mandat présidentiel.
Ouyahia et les petites gens
Les réponses d'Ouyahia lors de la conférence de presse qu'il a animée vendredi dernier ont été plus de la provocation que des précisions à propos de questions imposées par la lourdeur et la gravité de la conjoncture que traverse le pays et qu'un chef de gouvernement se doit de clarifier et d'alléger. Au sujet des augmentations faramineuses concédées par le président aux députés, il répondra avec un sourire narquois que d'autres catégories perçoivent bien plus. A situation incongrue créée par un manque flagrant d'Etat et de respect des lois, Ouyahia impose plus incongrue. Tant pis pour ceux qui croient que l'argent du contribuable doit être orienté par les élus pour résoudre les problèmes du peuple. Au-delà, l'on se demande si le président a réellement besoin de soudoyer les députés pour faire passer sa révision de la Constitution. L'histoire retiendra à toutes les législatures qu'elles ont existé pour être au seul service du pouvoir. Ouyahia n'est pas le seul à faire dans la provocation. Il fermera les yeux tout autant que le président sur le sort d'à peine une cinquantaine d'enseignants contractuels que le ministère de l'Education ne veut pas permaniser non pas parce qu'ils doivent passer un concours mais parce que l'Etat refuse de leur ajouter quelques sous de plus. Comme le président, Ouyahia n'aime pas les petites gens. Il l'a fait savoir à chaque fois que l'occasion lui a été donnée. Vendredi, il a rappelé sans gêne que «les augmentations des masses salariales, c'est le casse-pipe de l'économie». Si en politique, l'on admet universellement qu'il n'y a pas de moral, le gouvernement se doit pourtant de s'en imposer en tant que structure politique de l'Etat. C'est donc au nom de l'Etat qu'il doit s'abstenir de faire dans la provocation «des masses» dans un pays où les nerfs sont à fleur de peau et les esprits sous constante tension. Sinon, justifier des privilèges sonnants et trébuchants à des députés dans une conjoncture où des familles entières fouillent dans les poubelles pour se nourrir, relève du mépris.
Les militaires alignés sur les députés
Ouyahia a voulu ainsi que l'annonce officiellement sous-entendue d'un troisième mandat présidentiel à Bouteflika coïncide avec une situation de malaise social et politique sans précédent. Le président sait que les citoyens vivent dans l'insécurité totale non pas à cause du terrorisme mais à cause des vols, des agressions et des crimes qui se multiplient en plein jour alors que les rues grouillent de policiers depuis qu'il les a instruits de sortir des casernes. Il doit certainement savoir que les écoles croulent sous le poids excessif des élèves et qu'en parallèle, 40 millions de manuels scolaires comportent de grossières erreurs. Que tous les ménages sont otages de coupures intempestives d'électricité et que les blocs opératoires des hôpitaux fonctionnent difficilement. Que des malades chroniques manquent de médicaments. Que la décision de l'Etat de pénaliser l'acte d'émigrer clandestinement est absurde quand on sait que des jeunes harraga mettent volontairement leur vie en péril en se jetant à l'eau. Que les auditions des différents ministres n'ont jamais résolu des problèmes pourtant récurrents comme la cherté de la vie, l'anarchie dans les secteurs des finances, du commerce jusqu'à celui de l'éducation, de l'agriculture et des transports, la dégradation du pouvoir d'achat, la bureaucratie, l'insolence de l'administration, l'excès de zèle de ses préposés, les passe-droits, les abus de pouvoir, le clientélisme, l'anarchie dans les hôpitaux, les aéroports et les universités, le tout rappelant terriblement l'absence de perspectives et la navigation à vue d'un pays en mal de gouvernance. «Les Algériens sont fainéants, c'est pour ça que j'ai fait appel aux Chinois pour construire les logements et l'autoroute», a lancé le président de la République à un ambassadeur européen qui venait lui faire ses adieux. Jugé curieux, à la limite de l'indécence, le propos de Bouteflika a fait le tour des chancelleries étrangères accréditées à Alger. «On n'a jamais vu un président dire du mal de son peuple», a lancé un diplomate européen étonné.
De sources proches du ministère de la Défense nationale, le chef de l'Etat a accepté d'aligner les salaires des officiers supérieurs de l'armée sur ceux qu'il a concédés nouvellement aux députés. Les militaires bénéficieront eux aussi, selon nos sources, du même effet rétroactif de la décision...
Les députés, personnels saisonniers du pouvoir, ont donc le droit, selon le chef du gouvernement, d'être grassement rétribués puisque d'autres corporations, privées soient-elles, le sont. Pourtant il sait que la machine électorale, qu'il dit être prêt à manipuler, se chargera comme par le passé, de les obliger à lever la main et «re»franchir le pas en fermant les yeux sur l'absence de démocratie et d'alternance au pouvoir.