Contre la malvie et pour la démocratie (2eme partie)
Souvenirs de Crésyl et hôtes de marque
Dans le camp militaire de Bordj Omar Driss (wilaya d’Illizi), Ali Kechid et Abdelkrim Badjadja vont se retrouver aux côtés de sept autres détenus qui portent les noms de Hachemi Zertal, à l’époque, sous-directeur de la cinémathèque de Constantine, Mourad Nefoussi et Mohamed Alliat, tous deux cadres de Cosider à El Hadjar, et Mohamed Boukhari, directeur de la programmation au théâtre d’Annaba. Il y avait, aussi, l’avocat Mokrane Aït Larbi et le cadre paramédical Arezki Kecili de Tizi Ouzou ainsi que l’anthropologue algérois Rachid Bellil. Quant à l’avocat et militant des droits de l’homme, Ali Yahia Abdennour, il sera maintenu à Ouargla aux côtés du couple Nekache. La plupart de ces intellectuels et militants des droits de l’homme subiront la torture par absorption de Crésyl, passage à tabac et perforation des doigts de la main au moyen d’agrafeuse. Ali Kechid raconte qu’il n’a pas reçu la notification de l’arrêté portant son assignation à résidence, pour atteinte à l’ordre public, avant le 7 décembre. Décision émanant du ministère de l’Intérieur signée par le directeur général de la Sûreté nationale, à l’époque Hadi Khediri, sur ordre du ministre Hadj Yala. Cette mesure va soulever une vague d’indignation et de condamnation et un large mouvement de solidarité qui va s’étendre jusque dans les milieux intellectuels français qui, emmenés par le professeur René Galissot, vont se joindre à leurs collègues algériens pour initier une série d’actions et faire pression sur le pouvoir algérien afin d’obtenir la libération des détenus ainsi que celle des 186 jeunes emprisonnés. La plus illustre des initiatives est sans doute la lettre ouverte adressée par le président de l’Association internationale des juristes démocrates, Joê Nordmann, au président Chadli Bendjedid, protestant contre la répression dirigée contre ces personnes et invitant le président à mettre fin à la mesure d’assignation à résidence. Une délégation, composée d’universitaires, d’intellectuels et d’artistes algériens, munie d’une pétition, va, de son côté, faire la tournée des institutions de l’Etat, à l’image de la présidence de la République, les dirigeants du FLN, l’ANP, le ministère de la Justice, la DGSN, ainsi que l’UGTA, l’UNJA et l’UNAC. A retenir aussi l’attitude courageuse des avocats d’Annaba, conduits par le bâtonnier maître Bouandas, qui ont boycotté la visite officielle du ministre de la Justice en signe de protestation contre la partialité de la justice dans ces événements. Plusieurs lettres ouvertes ont été adressées, également, au président de la République par les parents et les amis des détenus. La plus frappante est celle émanant de la mère de Ali Kechid, dont le contenu rappelait au premier responsable de l’Etat qu’elle était épouse et mère de chahids. Dans un passage, elle écrit : « Notre famille a payé, comme toutes les familles algériennes, le prix du sang et des larmes pour que nos enfants puissent vivre la tête haute, pour qu’ils ne subissent plus les brimades ni l’humiliation, pour qu’ils ne soient plus soumis à l’arbitraire et à l’oppression, pour qu’ils vivent dans un pays de droit et de justice sociale… » Ces sollicitations ont été autant de pressions qui ont poussé le pouvoir à lâcher du lest. En mars 1987, le président Chadli décide la levée des mesures d’assignation à résidence dans le Sud et, au mois d’avril, la libération des 186 condamné
Propagande officielle et médias français
La télévision nationale inaugure la campagne de propagande, dès le lundi, en organisant, au journal télévisé du soir, la repentance des personnes arrêtées, présentées comme de vulgaires vandales. La presse écrite, exclusivement des journaux appartenant à l’Etat, emboîte le pas à la télévision et consacre, dès le lendemain, une large couverture des événements, en focalisant sur les actes de sabotage. Les auteurs seront qualifiés de « fauteurs de troubles », en « majorité célibataires, repris de justice », selon El Moudjahid. L’APS parlera de « conspiration » d’éléments « hostiles à la Révolution, à sa marche et à ses victoires », qui n’hésitent pas à utiliser « la spontanéité de notre jeunesse » pour « réaliser les desseins du colonialisme, de l’impérialisme et de ses alliés ». Le quotidien arabophone An Nasr s’emploiera à publier les communiqués en langue de bois de condamnation et de soutien indéfectible aux dirigeants du pays de la part des organisations de masse, notamment l’UGTA et l’UNJA, et accuser « ces tendances qui nourrissent de la haine à l’égard de l’Algérie », en lavant l’université et ses étudiants de la responsabilité des émeutes. L’APS écrit encore : « La communauté universitaire se démarque et réaffirme sa mobilisation derrière la direction pour défendre les acquis de la Révolution. » Un mensonge savamment préparé pour cacher le caractère massif de la révolte, atteignant le sommet du ridicule dans cette motion de soutien aux autorités du pays, adoptée, soi-disant, par les étudiants lors de l’AG présidée par Abdelhak Brerhi, alors ministre de l’Enseignement supérieur. Le ministre était parvenu, il est vrai, à calmer les esprits contre la promesse de convaincre les autorités locales à libérer les étudiants et les lycéens arrêtés. La rencontre se déroulera, cependant, dans un climat de tension et le ministre se fera balancer sur sa table des cadavres de bombes lacrymogènes et un casque arraché à un policier. A l’opposé, c’est la presse française qui va faire le travail de l’information à travers une large couverture de l’événement. Plusieurs envoyés spéciaux viendront renforcer sur place les rangs des correspondants locaux de Libération, Le Monde, Le Figaro, France-Soir, etc. Les écrits vont agacer le pouvoir et deux journalistes, celles de Libération et du Nouvel observateur, seront expulsées.
La façade se lézarde au sommet
Au milieu du black-out imposé par le pouvoir sur l’information, un seul article va traverser les mailles de la censure et paraître sur les pages de Révolution africaine. Loin d’être une omission, la publication recevra, et allant contre la politique du pouvoir, l’aval de Mohammed-Cherif Messaâdia, le deuxième homme du FLN. Cette « peau de banane » renseigne sur la divergence de ce dernier avec le président Chadli et les luttes au sommet opposant le parti, l’appareil d’Etat et la hiérarchie militaire. Ali Kechid se rappelle, d’ailleurs, que l’attitude des militaires à l’égard des détenus et de leurs familles qui leur rendaient visite à Bordj Omar Driss était « correcte et constructive », confortant l’idée selon laquelle le premier responsable du camp et commandant de la 4e Région militaire, un certain Mohamed Betchine, était contre la mesure d’assignation en l’absence d’un procès. Suite aux événements, le chef d’état-major, le général Mostefa Benloucif, démissionnera de son poste, officiellement, pour des raisons de santé. Le directeur de la DGSN et le patron de la Sécurité militaire, le général Lakehal-Ayat, affichent au grand jour leur mésentente, et le commandant Meftah, responsable de la SM à Constantine, sera sacrifié comme un fusible. Quant à Chadli, son discours, prononcé le 11 novembre devant les walis, était un sérieux réquisitoire contre ses adversaires. Les véritables enseignements ne seront pas tirés. Deux années plus tard, l’Algérie s’engagera dans un processus démocratique qui va être celui de tous les dérapages, tuant tous les espoirs nés chez les Algériens. Entre temps, l’expérience de l’école fondamentale a officiellement échoué, les noces du pouvoir avec l’islamisme ont donné le FIS et les milliers de Antar Zouabri, et jeté les jeunes, notamment ceux condamnés à Constantine, dans les bras de l’hydre terroriste. Les cadres de la nation ont choisi massivement l’exil. D’ailleurs, durant notre enquête, nous avons découvert que la majorité des universitaires acteurs des événements de Constantine ne vivent plus en Algérie depuis longtemps. Aujourd’hui, soit 20 ans après, les émeutes plébéiennes cycliques n’ont pas pris fin et les ingrédients qui ont mené aux explosions de Constantine et d’Alger, sont, hélas, toujours d’actualité. L’économie ronronne encore et le despotisme éclairé est toujours au pouvoir. La société, quant à elle, voit ses aspirations contrariées, son identité toujours menacée, et souffre d’un chômage chronique, d’horizons bouchés et de conditions précaires d’existence.
N. Nesrouche
Source : el Watan, edition 14 novembre 2006
Uchan ur yt'wella t'ikhci